Ce témoignage est issu tel quel du site :
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« Ma reconstruction mammaire extra-plate ! » Carine, 43 ans

Pour Carine, se reconstruire après un cancer du sein et une double mastectomie ne passe pas forcément par redessiner le galbe d’un sein. Elle a donc opté pour une reconstruction à plat. Une décision dont elle a mis 9 mois à accoucher et qu’elle a dû imposer à ses chirurgiens.

Novembre 2019, visite de contrôle avec ma chirurgienne alors que je suis torse nu devant elle :

Ma chirurgienne : Alors vous refusez toujours d’être reconstruite ?
Moi : Mais non Docteur… je suis déjà reconstruite ! C’est même vous qui m’avez reconstruite !
Ma chirurgienne : Mais non… que dites-vous ?
Moi : Mais si Docteur… regardez je ne suis pas « détruite ». Mes cicatrices sont refermées et c’est vous qui m’avez fait cette « reconstruction à plat ». C’est grâce à votre geste chirurgical que j’ai aujourd’hui cette fermeture plate sans excès de peau. Et si vous dites que je ne suis pas reconstruite alors c’est que vous considérez que vous m’avez détruite !  Et chaque femme devrait avoir droit à ce que son chirurgien lui propose une « reconstruction à plat » au même titre que les autres options de reconstruction post mastectomie.
Ma chirurgienne : Je ne voyais pas cela de cette manière mais ce que vous me dites me parle…

Soulagement :  je viens enfin de parvenir à exprimer à ma chirurgienne ma volonté que plus aucune femme n’ait à subir l’humiliation de devoir être considérée comme détruite après l’ablation de l’un ou de ses deux seins.
Déception : je mesure tout le travail à faire pour que ce choix d’une « reconstruction à plat » soit intégré dans les protocoles de consultation et les pratiques onco-chirugicales.

Enlevez-moi ce sein sain

Suivie dans un grand centre dédié exclusivement à la prise en charge en cancérologie, je demande à subir une mastectomie bilatérale dès la découverte de mon cancer du sein gauche. Mes antécédents familiaux, avec le décès de ma sœur aînée de son cancer du sein à l’âge de 39 ans, me font affirmer ce choix à ma chirurgienne dès la toute première consultation. Mais il m’est alors expliqué que ma demande d’ablation d’un sein « sain », la mastectomie prophylactique, n’est pas recevable en absence d’un appui du service oncogénétique. Et il faut de longues semaines voire des mois avant de disposer de cet avis… Allant à l’encontre de ma demande pour mon corps, la seule ablation de la tumeur dans mon sein gauche m’est donc imposée dans un premier temps chirurgical.

L’oncogénétique appuie ma demande

Quelques jours après cette tumorectomie, ce sont les résultats anatomopathologiques qui parlent à ma place : « les marges de la tumeur ne sont pas saines ». La reprise chirurgicale par mastectomie du sein gauche atteint m’est donc désormais fortement recommandée. Mais pour le sein droit toujours pas de réponse. Quelques longues semaines plus tard, j’apprends que je ne suis porteuse d’aucun gène connu de prédisposition au cancer du sein. Malgré cela, mon risque familial me « permet » d’obtenir l’appui du service oncogénétique pour l’ablation de mon sein « sain ». On accède donc à ma demande de mastectomie bilatérale.

La reconstruction, le passage obligé ?

La double mastectomie décidée, les consultations suivantes avec ma chirurgienne sont consacrées exclusivement à la reconstruction de mes seins et non plus au traitement de mon cancer. Sans doute influencée par la mouvance française « Jamais sans mon sein », ma chirurgienne me présente alors toutes les options de chirurgie réparatrice possibles selon elle : reconstruction avec prothèse en silicone (implant rétro-pectoral) ou reconstruction avec mes propres tissus (par lambeau ou mini-lambeau de grand dorsal ou par DIEP c’est-à-dire par lambeau de peau et de graisse prélevés au niveau de l’abdomen). À aucun moment, l’éventualité de simplement refermer après l’ablation de mes seins n’est évoquée. Et pourtant, dans le même temps, ma chirurgienne s’assure que j’ai bien compris que dans tous les cas « mes seins reconstruits ne seront plus mes seins ».

J’accepte, un peu malgré moi

Choisir parmi l’une des reconstructions présentées m’apparait alors être ma seule et unique option. Je ne m’imagine même pas pouvoir suggérer à ma chirurgienne une autre éventualité. Comment contredire la chirurgienne à qui j’ai confié ma vie dès la première intervention pour retirer mon cancer ? Comment affirmer devant mon homme, présent lors de ces consultations, que je ne veux pas de ces faux seins, que je ne veux plus ressembler à celle qui l’avait séduit ? Comment ne pas avoir envie d’accepter une option qui me permettrait de donner l’apparence d’une femme n’ayant pas été mutilée par le cancer ?

Guidée par l’angoisse de la maladie, par la peur de la mort, par l’envie d’être comme avant, par l’impression que sans seins je ne serai plus la même personne, par la peur que mon homme détourne son regard de moi sans ces illusions de seins, par le sentiment de rompre le lien de confiance nécessaire entre ma chirurgienne et moi si je ne suis pas ses conseils… Je m’entends accepter une reconstruction avec mes propres tissus car l’idée d’insérer deux corps étrangers dans ma poitrine m’est impossible. Nous évoquons la microchirurgie d’un double DIEP. Ma chirurgienne m’oriente vers le grand Professeur, Le grand spécialiste de cette reconstruction mammaire. Dès lors, ma motivation devient celle d’être « sélectionnée » pour faire partie des « rares privilégiées » à bénéficier d’une reconstruction immédiate par un double DIEP.

Prise en main par le grand Professeur spécialiste du DIEP

Les consultations s’enchaînent : le grand Professeur me reçoit en privé, il me fait rencontrer une de ses patientes et me présente ses « magnifiques seins » qu’il a reconstruits de ses mains. Malgré ma morphologie fine, il ne contre-indique pas le DIEP. Je passe un angio-scanner qui valide aussi la faisabilité de cette procédure. Le grand Professeur et ma chirurgienne se mettent d’accord pour opérer à quatre mains : ma chirurgienne s’occupera de la partie mastectomie bilatérale et le grand Professeur procédera à la pose temporaire de prothèse d’expansion afin de préparer mes étuis cutanés aux futures et nombreuses interventions à programmer pour réaliser une reconstruction par DIEP.

« C’est quand même dommage »

Tout se décide ensuite très vite. Je suis prévenue seulement une semaine avant de la date de l’opération. L’intervention ne se déroulera pas dans mon centre de cancérologie mais dans l’hôpital où exerce le chirurgien plasticien. C’est donc mon onco-chirurgienne et moi qui nous déplacerons. Ainsi, après avoir eu très (trop) peu d’échanges avec le chirurgien plasticien, je me retrouve dans un lieu inconnu, sans repère. Ce n’est que la veille de l’intervention que je parviens à exprimer à l’équipe de plasticiens qui vient « dessiner » mon torse mes inquiétudes quant aux choix de conserver ou non le mamelon de mon sein « sain ». Malgré la pression esthétique et la promesse d’une « plus belle » reconstruction, j’arrive à tirer du fond de mes tripes une opposition ferme à conserver ce second mamelon. L’équipe en prend note en me lâchant un « c’est quand même dommage ».

Au revoir mes seins

Le jour J, le 21 septembre, jour de l’automne, je dis au revoir à me seins. Je m’endors au bloc avec un anesthésiste qui me crie dessus parce que je n’ai pas reçu la pré-médicamentation qu’il avait prescrit. Je me réveille de longues heures plus tard dans un sale état entre nausées et impossibilité de parler. Les 24 heures qui suivent, j’ai l’impression d’être entre la vie et la mort, veillée par des infirmières et des aides-soignantes extraordinaires.

Et puis, une fois la morphine et l’oxygène arrêtés, les nausées stoppent et je reviens à la vie. Je touche « ma » poitrine. Il m’avait été annoncé un réveil avec une poitrine à gonfler à coup de sérum physiologique. Mais finalement, le volume est déjà beaucoup plus important que ce que j’avais. Seuls deux petits pansements ont été posés à l’emplacement de mes mamelons envolés à coup de scalpel. Mes mains ne reconnaissent pas mon corps. J’ai la sensation d’être habitée par deux ballons de baudruche reliés à des drains desquels coulent mon sang.

On y retourne

Les jours qui suivent ne se déroulent pas selon le meilleur scénario : 72 heures après la première intervention, je me réveille avec mon « faux sein » droit qui gonfle à vue d’œil. Il est très tendu et me fait mal. Verdit de l’interne de service : c’est un hématome. Il faut repasser au bloc rapidement. J’ai à peine eu le temps de me remettre sur pied qu’il faut donc y retourner. Au réveil, l’interne m’explique qu’il y avait « un bon verre de sang » dans mon « sein » sans que l’équipe ne comprenne pourquoi cet hématome s’était formé. Les jours suivants, je me sens affaiblie. J’ai perdu beaucoup de sang et je suis anémiée. Dans un premier temps, on me fait une injection intraveineuse à base de fer. Mais 24 heures plus tard, mon taux d’hémoglobine nécessite qu’on me transfuse deux poches de sang. Je resterai 15 jours à l’hôpital au lieu des 4 ou 5 jours initialement prévus.

Comme une poupée gonflable

Dans les semaines qui suivent, j’essaie de m’habituer à être cette poupée gonflable avec des cicatrices douloureuses et des obus rigides et inconfortables à la place de mes seins d’origine. Mon corps et ma tête réagissent à cette intrusion : poussée de maladie auto-immune pourtant jusqu’alors en sommeil, anémie, douleurs, inconfort… Face à toutes ces réactions, mon chirurgien plasticien persiste à me faire espérer une reconstruction prochaine par DIEP, mon onco-chirurgienne se félicite de sa collaboration avec lui pour un « superbe résultat esthétique ». Durant de longs mois, j’endure une mobilité très réduite pour ne pas risquer de gâcher le travail de mes chirurgiens. Je ressens un déchirement entre les regards extérieurs sur mes deux « faux gros seins » et ma sensation à moi de vide : plus de sensibilité, plus de douceur, plus de confort…

Avec le temps, mon équipe de chirurgiens finit par entendre ma demande de ne pas poursuivre sur la voie d’une reconstruction par DIEP. Ils insistent pour remplacer les prothèses d’expansion par des prothèses en silicone. J’insiste pour leur faire entendre mon refus. Je suis perdue, affaiblie, en manque de sommeil. Les prothèses d’expansion sont devenues insupportables et, à chaque fois qu’elles sont gonflées de solution saline pour tenter de limiter l’apparition d’une coque dure, ma peau est un peu plus tendue… mon corps me semble prêt à exploser.

L’envie de tout retirer

J’explose aussi à l’intérieur, mon mal être se traduit par la survenue de gros vertiges rotatoires. Mon « homme » en profite pour prendre une courageuse et définitive fuite… Je me retrouve seule face à ma décision… avec à mes côtés mon lumineux fils de 5 ans… Au plus profond de moi, je sens l’envie de tout retirer, d’arrêter l’épuisement des chirurgies à répétition… Depuis l’annonce du cancer, ma vie n’est plus que peur, angoisse, intervention… J’ai envie qu’on arrête de s’acharner sur mon corps : « mes seins ne sont plus, laissez-moi en faire le deuil ! ».

Lors de ma prochaine consultation avec mon onco-chirurgienne, je me décide à lui parler de ce choix de « tout retirer ». Je me rends seule au rendez-vous. L’examen clinique révèle la présence de plis et de coques autour de mes prothèses temporaires : le moment est plus que venu de les retirer. Ma chirurgienne me conseille à nouveau de remplacer ces prothèses temporaires par des prothèses en silicone. Je lui redis mon refus de porter ces corps étrangers dans mon corps. J’ose enfin lui poser ma question : « Serait-il possible de tout retirer et de ne pas remplacer mes prothèses temporaires ? » Sa réponse me laisse sans mots : « Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins » ! Ma chirurgienne me propose d’y réfléchir encore et de revenir vers elle quand ma décision sera prise.

Trop jeune pour vivre sans seins ?

« Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins. » « Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins. » « Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins. » « Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins. » « Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins. » « Vous êtes trop jeune pour vivre sans seins. »… Cette phrase tourne alors en boucle dans ma tête… Vivre sans seins ? Mais mes seins ne sont déjà plus… Vivre… Oui, c’est ce que je veux : VIVRE ! Pourquoi cette réaction de ma chirurgienne ? À quoi ressemblera mon corps sans volume mammaire ? Je me rends alors compte que je n’ai jamais vu de photos de femmes sans seins.

Alors je plonge dans le web et je découvre au hasard de mes recherches la page Facebook « Tout aussi femme » écrite par Marie-Claude Belzile depuis Montréal. Mon regard s’arrête sur les photos de femmes qui ont dû subir l’ablation de leurs deux seins et qui ont fait le choix de refuser les options proposées de reconstruction de leur volume mammaire. Certaines expliquent comment elles ont eu la mauvaise surprise de se réveiller de leur double mastectomie avec des excès de peau, des lambeaux qui pendent, laissés là par leur chirurgien pour faciliter « une reconstruction future ». D’autres expliquent comment elles ont dû se battre avec leur chirurgien pour obtenir une fermeture esthétique et plate de leurs cicatrices de mastectomie.

« Tout aussi femme »

Grâce aux publications de Marie-Claude Belzille, je découvre aussi le mouvement américain « Not putting on a shirt » qui défend le droit des femmes à obtenir un fini esthétique à plat de leur mastectomie. Et chez nous en France ? Je m’aperçois que la langue française n’a même pas de nom pour toutes ces femmes ayant vécu une double mastectomie. Avec un sein en moins, ce sont des Amazones. Mais avec deux seins en moins, je serai quoi ? « Tout aussi femme »… Ces mots me réconfortent… Sans seins, je veux croire que je serai encore une femme, une maman… Ma décision est prise…

À ma demande, un nouveau rendez-vous est fixé avec ma chirurgienne. Cette fois-ci, j’emmène avec moi les photos généreusement offertes sur le web par toutes ces femmes dont la décision d’être plate n’a pas été respectée et qui présentent depuis des excès de peau à la fois inesthétiques mais aussi handicapants dans leur vie quotidienne. Je demande à ma chirurgienne de me retirer mes prothèses temporaires et de ne pas les remplacer. Je l’interroge aussi sur la façon dont elle va procéder. Comme rien n’est dit sur le fini esthétique ou non des cicatrices de fermeture, j’ose la question : « Pouvez-vous me confirmer qu’il n’y aura pas d’excès de peau comme sur ces photos ? ». Réponse : « Il faut en laisser un peu au cas où vous changeriez d’avis ». J’insiste. Réponse : « Je ne peux rien vous garantir« . Ma chirurgienne me demande de photographier une dernière fois « ce beau travail de reconstruction ».

« C’est MON corps ! «

Je comprends que pour elle, retirer mes prothèses temporaires et mes étuis cutanés si difficilement conservés c’est un peu « détruire » le travail qu’elle avait fait sur mon corps… Mais justement, c’est MON corps ! Alors je me sens obligée d’accepter cette dernière photo de ce volume mammaire qui donne à penser aux autres que j’ai encore deux seins mais dans lequel je ne me reconnais pas et qui me fait souffrir… Torse nu, entre sentiment de mal être et d’humiliation, je pose sous le regard de ma chirurgienne…

Un fini « à plat »

En sortant de cette consultation, je ne sais toujours pas comment je me réveillerai après cette troisième intervention. J’ignore si ma chirurgienne pourra respecter ma volonté de ne pas laisser mon corps avec des excès de peau. Alors je décide d’envoyer un courriel à ma chirurgienne pour lui poser à nouveau la question : « Est-ce possible d’obtenir dans mon cas un résultat « plat », lisse sans excès de peau ou de tissus, sans « oreilles de chien » ou « ailes d’ange », sans concavité » Réponse encore une fois : « Pour la peau, je ne peux pas garantir qu’il n’y aura pas d’oreilles ».

La date de l’intervention de dépose de mes prothèses est fixée. Quelques minutes avant d’entrer au bloc opératoire, ma chirurgienne me redit à quel point c’est dommage… et moi, je lui redis que je souhaite un fini « à plat »…

Aucun regret

Neuf mois entre l’annonce de mon cancer et ma dernière intervention pour accoucher d’une double mastectomie avec une fermeture esthétique à plat… Si je regrette ma décision ? Absolument pas. Si je comprends les femmes qui font un autre choix que le mien et opte pour une reconstruction pour conserver ou retrouver un volume mammaire ? Absolument oui.

« 9 mois pour accoucher de cette décision »

Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, j’avance sur mon chemin de résilience. J’ai la volonté de contribuer à faire évoluer les pratiques onco-chirugicales françaises. Je souhaite que chaque femme qui vit l’ablation d’un ou de deux seins se voit systématiquement proposer l’alternative d’une fermeture esthétique à plat au même titre que les autres options de reconstruction mammaire. Je crois que le consentement libre et éclairé de la patiente ne peut être prétendu avoir été recueilli en l’absence de l’exposé de l’intégralité des choix de reconstruction dont cette « reconstruction à plat ». Je souhaite aussi que ce vocabulaire de « reconstruction à plat » soit reconnu et intégré dans les protocoles par les praticiens. Ainsi, les femmes ayant fait le choix de cette « reconstruction à plat » n’auront plus à être considérées comme « non reconstruites », autrement dit « détruites » en raison de l’ablation de leur(s) sein(s).

Enfin, je souhaite que, comme pour les autres alternatives de reconstruction mammaire, le fini esthétique de cette mise à plat soit recherché, voire même, soit un droit dans le respect des choix de la patiente pour son corps.